Ma chère Elsa,
J'ai enfin trouvé le moyen de te dire tout ce que j'ai sur le coeur depuis des années. Ce n'est pas très glorieux de passer par ce blog, que tu ne liras jamais puisque tu n'as pas Internet, et que çà ne t'intéresse pas, mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour vider mon sac..
Nous nous somes rencontrées en 1969, au détour de mes études supérieures, et çà a fait tilt tout de suite.
Ce fut le début d'une belle amitié sans détour ni faux-semblant, sans arrière-pensée non plus. Pendant près de douze ans, nous avons quasiment tout partagé, séparées apr 250 kilomètres, nous passions les vacances ensemble, allions faire des voyages, etc. Bref, je croyais notre amitié indestructible.
Quand en 1981, j'ai rencontré l'homme de ma vie, celui qui allait devenir le père de mes enfants. A 30 ans, je n'y croyais plus et je pensais que nous finirions plus ou moins notre vie ensemble, comme deux soeurs.
Seulement, voilà : j'avais compté sans ta jalousie qui mit toute ton ardeur à saper le projet qui naissait entre 'le Chef' et moi.
Mais voilà aussi, c'était compter sans l'amour entre lui et moi et notre détermination. Nous étions sur notre nuage, mais tu y aurais eu ta place si tu avais accepté d'y 'supporter' le Chef.
Il m'aurait fallu choisir entre lui et toi ! Quelle bêtise !
Six mois après notre première rencontre, nous nous sommes mariés, tu as bien voulu être mon témoin et je croyais que tu serais la marraine de notre premier enfant...Tu as beaucoup pleuré à ce mariage, il paraît...
Au fil des jours, nous nous sommes éloignées, puis carrément séparées. Le silence a scellé notre amitié et moi j'ai continué mon chemin avec le Chef au Moulin.
Ah ! que n'as-tu mis ton orgueil dans ta poche pour venir partager notre, mon, bonheur !
Notre fils est né, puis notre fille, nous avons vécu ces deux naissances comme des cadeaux divins.
Nous avons aussi traversé ce qu'on appelle des épreuves : la mort de nos parents, l'un après l'autre, des inondations qui ont détruit le rez-de-chaussée du Moulin, sa reconstruction, les maladies, les études des enfants, leur installation dans la vie adulte, leur rencontre avec leur 'moitié', le mariage, l'arrivée de leurs propres enfants, et nos propres difficultés personnelles, au Chef et à moi, santé, profession etc.
Puis, un beau jour, il y a 5 ans, j'ai décidé que çà suffisait, et je t'ai écrit. Tu m'as répondu par retour de courrier, tu semblais heureuse de renouer avec moi. j'y ai cru. Je croyais que le temps avait gommé les plus gros défauts et que le dépit était effacé. Mais, en fait, non, tout s'est arrêté pour toi le jour de mon mariage. Tu ne l'as pas dit, mais j'ai vite compris. J'ai essayé de te parler de ma vie depuis 1981, mais tu n'as rien voulu entendre. Tu as connu le Moulin dans sa première 'mouture', mais tu ne veux pas y revenir, tu ne veux pas connaître mes enfants, ni mes petits-enfants, ni rien de ce qui fait ma vie.
Cela ne t'intéresse définitivement pas !
Tu écris sur toi par énigmes, les détails et explications sont toujours pour la prochaine lettre.
Alors, maintenant, çà suffit.
Je suis fatiguée, déçue que tu n'aies pas surmonté tes rancoeurs vis-à-vis de moi. Le temps passe, et moi non plus, je ne veux pas aller chez toi. Pour quelle raison devrais-je faire ce déplacement que tu me refuses ? Même une rencontre à mi-chemin est impossible !
Alors ! restons chacune dans notre coin !
J'avoue que mon coin est généreusement chaud et douillet, avec mon mari mes enfants, mes petits-enfants, ma bulle d'amour est bien remplie et bien vivante, sans compter les amis.
Le Moulin est toujours à la même place, s'il te prend l'envie d'y venir te reposer et te promener, tu seras toujours la bienvenue, mais n'attends plus de lettre de moi. Juste un mot de temps en temps, fête, anniversaire. Mais plus rien de plus. Je suis fatiguée de m'acharner à vouloir t'inclure dans ma bulle. Je comprends bien qu'elle puisse ne pas plaire à tout le monde, tu es restée seule toutes ces années,
Je crains que tu ne restes encore plus seule et çà me peine, mais je ne suis pas maso au point d'accepter tes sarcasmes à mon égard : tu maniais bien l'ironie autrefois, moi aussi d'ailleurs !
C'en est fini de me sentir coupable vis-à-vis de toi, coupable de tout et son contraire. Ce qui me fait sourire, dans tout çà, c'est que tous ceux qui vont lire cette page vont comprendre à qui je parle, qui est cette Elsa, sortie de l'anagramme de ton nom, et que tu seras la seule à ne pas le savoir !
Je t'embrasse quand même sans rancune ni rancoeur.